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«  Seule sur un îlot perdu dans un océan slave » 

(Environnement , objets naturels, paille, bois ,foin, grès, laine, liane végétale, fleurs séchées, corde, led, vidéo...) 2021. 

 

Pénétrer dans l’impasse d ’Agen, étroite ruelle bordée de majestueux poiriers sauvages , 

c’est  s’extraire du vacarme  de la ville pour se réfugier dans une enclave hors du temps. 

 

Pénétrer dans l’immeuble de Mariann Szoke au couloir sombre et étroit , c’est comme s’engouffrer dans une armoire « narniesque » pour ressortir dans la lumière d’un oasis verdoyant , luxuriant et profondément apaisant, un autre monde dont l’origine s’ancre plus à l’est sur les rives du Danube, en Hongrie précisément.

 

Ce jardin, dans une cour surgissant du béton s’offre comme un espace à soi, un entre soi,  qui nous permet de s’extraire du quotidien. Similaire aux  jardins d’extrême orient, il constitue un monde clos, une cour entre quatre murs, un microcosme singulier, protégé, isolé qui nous enveloppe d’une énergie protectrice.Le lieu semble évoquer l’âme des magyars, qui face à leur complexité ,leur angoisse de la disparition et leur difficulté à s’en extraire, se réfugient souvent dans la solitude pour se replier sur eux- même.* 

Ma première idée a été de créer une oeuvre  environnementale qui prolongerait et amplifierait le sentiment de «  pause végétale » propice à la réflexion, la conversation, la création et la connaissance.

La seconde piste a été de remonter à la source de cette espace, en se replongeant dans l’histoire , celle de la cour  qui était jadis un lavoir,  et celle de mes  origines  hongroises,  communes à mon hôte. 

L’oeuvre s’offre comme un espace immersif, ou l’artificialité tente de disparaitre au profit du naturel pour permettre à chacun de  se « réensauvager » . Il s’agit pour l’homme « industriel » que nous sommes devenu et qui a perdu le sens de la vie en se coupant du coeur des choses, de prendre conscience que «  le vivant est toujours la dimension centrale de toute existence »*.

Une véritable  mise en scène est orchestrée de manière à se rapprocher du milieu naturel. La  paille, le foin, et différentes espèces végétales de prairie séchées se substituent au minéral ambiant . L’espace évoque la grande plaine de Hongrie, la Puszta,  et ses activités connexes, pastorale et équestres; la présence de stimuli sonores, visuels, olfactifs permet de se projeter dans cet univers particulier et d’envisager des actions. Cette « oeuvre jardin » immersive, complexe,  enveloppante, s’adresse à tous les sens en associant le bâti, à l’eau, aux rochers, aux végétaux, aux animaux, mariant le vivant à l’inerte, l’éphémère et le permanent, le fixe et le mouvant…Le passé au présent. Un monde dans le monde, dans l’intimité de chacun où l’on pénètre de manière intrusive pour regarder au delà des murs et décloisonner le monde. L’espace se transforme , le regard aussi . La conscience du monde change. Les murs s’oublient , ils ne sont plus un obstacle, ils dissimulent certes, mais révèlent tout à la fois. Ils orientent et masquent le regard amenant de nouvelles perceptions oscillant entre ouverture et fermeture. L’espace à priori clos semble s’ouvrir davantage pour rentrer en contact avec la lumière, les étoiles, le ciel, la végétation, les animaux et l ’air ambiant.

 

 Chacun change de paradigme pour renouer avec les origines et le primitif qui sommeille en nous, pour retrouver les gestes authentiques, parfois des savoir faire oubliés ou méconnus,  pour mieux envisager l’avenir, le réinventer ou le réorienter à l’ère de l’anthropocène, de l’avènement de l’antispécisme et du probable effondrement de notre monde.

La cour devient un lieu de sociabilisation, un contenant qui met à disposition du contenu. Elle permet de se rapprocher du vivant, enclin à une certaine temporalité, et d’ activer une sorte de décélération qui nous oblige à repenser notre rapport au temps . On est  forcé de regarder autrement le monde , d’une façon plus lente pour en saisir dans une observation minutieuse toute sa complexité et sa valeur. Cet environnement nous oblige, un laps de temps à perdre la mémoire d’une société effrénée et à ressentir profondément le rythme de la nature.

Une multitude d’objets sont présentés dans cet univers « réensauvagé». Tous font preuve d’une économie de moyens dans le choix des matériaux et dans leur production .Ils résultent d’un travail ancestral et traditionnel que l’on peut retrouver dans certains métiers d’art comme la vannerie, le tissage ou le travail de la laine. Des matériaux ou objets naturels tels  la mousse , la laine de brebis, des os, des graines, des bogues, du lichen, ou des éléments manufacturés ou façonnés par l’homme tel du fil grillagé, des boules de verres ou autre, sont emmaillotés dans des lianes  de Muehlenbeckia , plante généralement très envahissante. Cet enfermement , ou « parasitage »  va au delà de l’emprisonnement pour offrir protection et  préciosité à l’élément empaqueté. Cet action révèle, dans ce va et vient entre le montré et le caché,  l’importance et la nécessité d’une fusion entre tous les constituants du vivant pour mieux envisager l’avenir. L’objet sculptural devient un catalyseur, il se présente tel une offrande énigmatique qui met en mouvement la pensée et le faire . L’art est ici à comprendre comme  Joseph Beuys l’a envisagé «  chaque être humain a vocation à créer, main dans la main avec ses congénères, les conditions d’un monde débordant de vie »

 

Karinka Szabo-Detchart

 

 

 

    

  •  Voyage au pays des Tziganes: La Hongrie inconnue, Victor Tissot ( parle de Joseph Eôtvôs qui se serait écrié 30 ans avant la création de l’empire austro-hongrois « la race magyare... est comme un îlot perdu au milieu de l’océan slave »)
    *  Hongrie, L’angoisse de la disparition, Françoise Pons , 2016.
    *  Réensauvagez-vous , manifeste Andréas Weber et Hildegard Kurt, 2021
    *  The Gift, Creativity and the Artist in the Modern World, Vintage, 2007( concept qui n’est pas si éloigné de celui défendu par Lewis Hyde* à savoir l’indispensable « circulation du don ».) 

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